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L'Inadmissible

30 juillet 2009

MEETING TONI

Il est des choses qu’on préfère ne pas partager, de peur qu’elles se perdent en vaines discussions. Mais il faut écrire sur cette rencontre éclair qui me consola d’un coup d’avoir choisi Strasbourg cette année. Tout va bien pour l’instant, je sens qu’au contraire le souvenir me sait gré de prendre la plume, et il frémit, impatient de s’offrir à vos yeux.

            C’était l’avant-veille de mes 27 ans, l’avant-veille aussi de la visite d’un monsieur important sensé décider de mon avenir de professeur. Le jour où mon outil, mon allié, mon clavier compagnon, au quotidien comme dans l’écriture, s’est mis en grève comme pour me compliquer un peu plus la tâche.

            C’est dans un effort pour le sauver en l’emportant vite chez un réparateur, que je manquais à regret la conférence d’un écrivain qui m’avait bouleversée quelques années auparavant, en me contant l’histoire d’une petite fille, noire, pauvre, et laide, disait-on, qui rêvait d’avoir les yeux bleus. Devenir un peu jolie pour être aimée un peu, voilà la triste histoire de Pecola, où se sont reconnues maintes jeunes filles sans doute, dont la peau brune a généré des haines infâmes, ou qui pleuraient de n’avoir pas le minois de certaines frivoles à a mode.

            J’arrivai à la conférence, comme lors d’un mauvais rêve, au moment des applaudissements. Les spécialistes se congratulaient et souriaient de leurs dents impeccables, les gens se levaient, se pressaient pour sortir, à présent qu’il n’y avait plus rien à entendre, comme de mauvais spectateurs au cinéma à la toute première note du générique de fin.

            Mais pour moi, tout commença à l’instant de cette fin. Je me dirigeai vers une file d’admirateurs qui attendaient patiemment que la main signe leur livre neuf. Je m’approchai de cette main qui, dans une encre noire, a su rendre toute la douleur contenue d’un peuple apparemment toujours esclave, a donné une voix aux fragiles, aux invisibles, car ce n’est qu’en cas de naufrage où l’on pense aux femmes et aux enfants d’abord. Une main longue et ridée, d’une douceur caramel. Je n’avais pas osé, jusque-là, regarder son visage. Eh bien, c’était une carte en relief, pleine de sillons, de rivières qui avaient vu couler son encre, d’oiseaux d’Amérique qui jalousaient sa plume. Sa chevelure grise et longue et blanche, c’étaient les neiges éternelles qui ne l’ont pas vu naître mais qui témoignent de son éternité, son visage parchemin, mille tresses épaisses et nouées entre elles qui lui faisaient comme une traîne d’épousée. Et cette sagesse que l’on suppose chez nos aînés l’apprêtait d’une lueur blanche, la lumière printanière se posait à côté comme un ruban blond. Toutes les vies, tout le passé du monde modelaient ce visage qui semblait avoir traversé les siècles. Elle lisait avec attention la lettre d’un admirateur la remerciant de son génie. Peut-être a-t-elle sauvé la vie de cette personne, comme Baudelaire me sauva à l’âge détestable.

            Les livres neufs se suivaient et se ressemblaient, langue originale ou traduction française. Puis la femme avant moi présenta un vieux livre. La tranche était souffrante, les pages s’enfuyaient presque, de peur d’être à nouveau tournées par cette lectrice sans complaisance. L’écrivain eut un sourire. L’admiratrice s’excusa en souriant aussi, dans un anglais improvisé, d’avoir lu ce livre tant de fois qu’il n’était plus un livre, seulement des pages rassemblées là comme par hasard.

            Puis vint mon tour.

            Qu’elle était loin l’exubérante qui emplissait les amphis de la Sorbonne de ses questions ! je redevenais moi, de fausse extravertie je redevenais grande timide. Evidemment que la bouche prie pour dire une chose formidable lors d’une telle rencontre. Evidemment que le cœur espère. Qu’espère-t-il ? On ne sait pas, mais ça ne l’empêche pas d’espérer.

            Tandis qu’elle signait le livre que j’avais déjà envie de serrer sur mon cœur, j’eus le courage de la fausse-extravertie-vraie-timide-désespérée de dire d’une voix courtoise, l’accent britannique venant orner ma politesse :

-         So glad to meet you, Mrs Morrison.

            Elle me regarda. Pas comme les gens ordinaires vous regardent. C’est drôle comme avec tous les gens que l’on croise, on est si peu regardé. Mon Dieu, le visage, il n’était rien sans ces yeux dorés, ce regard miel, transparent et magique. Il avait la tiédeur d’une femme qui a tout vu et qui considère, indulgente, la jeune fille redevenue enfant, tant elle a la sensation d’être regardée pour la première fois.

-         Well, thank you.

            Oui, parce que Toni Morrison ne fait pas que regarder. Elle parle aussi.

            Elle eut à nouveau ce sourire bienveillant du grand écrivain devant l’énième timide qui a rassemblé tout son courage pour quelques mots. D’autres mots me vinrent, ceux, devenus cliché, de Shakespeare,

She speaks!
O, speak again, bright angel!

            Bien des universitaires ont parlé de la voix dans ses romans, mais que dire de sa voix à elle, ce grain de jeune vieille femme, l’expérience, la finesse, l’amour et l’indulgence ! tomber dans l’emphase ne vaut jamais grand-chose et se fait souvent l’agent des mauvais textes. Mais ses yeux d’ambre ! me pardonnerez-vous ce lieu commun si je vous jure qu’ils ont la même couleur ?

            Un autre poncif dit que certaines rencontres changent une vie. Cette rencontre-là aura décidé en partie de la mienne. Parce qu’elle est la première à m’avoir regardée, je travaille cette année sur son œuvre brodée d’invisible.

… Signé l’Inadmissible.

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1 juillet 2009

UNDER THE BRIDGE ET LES MOTS PASSANT

C’est l’histoire d’un clodo qui trouve un bébé sous un pont.

Non, ce n’est pas la nouvelle blague à la mode, c’est le texte de Le Clézio qui est tombé ce matin.

Quand je dis " c’est le texte de Le Clézio qui est tombé ce matin, " je pense par réflexe à un thème d’Agreg, tant il est vrai que le Prix Nobel de l’an dernier obtient souvent les faveurs des jurys de concours.

En réalité, quand je dis " c’est le texte de Le Clézio qui est tombé ce matin, " je pense au sujet de Brevet de français.

  • Ah, c’est marrant, moi quand je lis " Under the Bridge " dans le titre, je pense plutôt aux Red Hot.

- Parce que vous êtes normal. Moi, je suis irrécupérable. (voir jolie version de la chanson dans la colonne rose quand même)

Les élèves planchaient, certains semblaient souffrir ou crever d’ennui.

D’autres s’appliquaient. D’autres avaient la cervelle qui fume. D’autres encore notaient dix mots incluant leur nom et l’intitulé de l’épreuve, puis se mettaient à rêver, discrètement à la fenêtre,

ou au sens littéral, la tête entre leurs bras. 

Du sens littéral au sens littéraire, j’avais trois heures à tuer. Je surveillais les candidats, certes, mais j’avais le droit de m’occuper aussi. Alors je pris le sujet à bras le corps, comme les autres, et décidai de faire de ce texte de Brevet un thème d’Agrégation improvisé. Et il était ardu, ce thème ! Je retrouvais le plaisir de l’effort dans cette traduction sans correcteur en vue…

Oui, j’ai adoré préparer l’Agrégation.

Mais je détestais passer les épreuves.

Un texte difficile, donc, et si je ressentais à nouveau la joie de surmonter les obstacles d’un texte par la réflexion, j’en voyais d’autres qui souffraient, irré- mais- diablement, impuissants face aux mots comme le sans-abri devant l’enfant trouvé.

Mes collègues se lamentaient tout le jour de la baisse de niveau. Les " de mon temps ", les " ce n’est plus ce que c’était ", j’en ai entendus à la pelle.

Mais ce texte était complexe. Voyez vous-même:

LE_CLEZIO_TEXTE

A quinze ans, moi aussi, j’aurais peut-être grimacé en lisant cette prose…le niveau des élèves a baissé… Moi, je trouvai plutôt que le niveau du Brevet avait grimpé en flèche. Même sentiment lors de l’épreuve d’Histoire-Géo.

La compréhension, la grammaire, le commentaire de documents, tout me paraissait plus vache que quand je passais moi-même ce Bac d’avant le Bac.

A l’exception de la dictée. Une dictée de 4 lignes et demie que je lisais à voix haute, savourant chaque mot, prononçant les signifiants, imaginant les signifiés, qui paraissaient insignifiants aux yeux de mes non initiés. Un texte à l’imparfait, sans difficultés, pas même lexicales, mais on a toutefois jugé bon d’écrire aux tableau les mots " hameaux " et " loqueteux ", parce que les pauvres chéris risquaient de ne pas connaître.

Et puis on a noté le nom de l’auteur, comme à l’accoutumée. c’est sans doute mieux ainsi. Je vois d’ici les zéros en dictée perpétuels tenter d’orthographier au pif le nom de Maupassant…

LES MAUX PASSANTS

L’AIME OH PASSE SANS

LAIT M’EAU PAS SANG

LAID MEAUX PAS CENT

L’EST M’ HOP A SENT

La dictée de mon Brevet, il y a douze ans, n’était pas difficile non plus, mais elle était 3 fois plus longue. J’obtins 10/10 sans suer. Mais la dictée du jour était sur 6 points seulement, sur les 40 du Brevet. On se plaint que les élèves ne prêtent plus attention à l’orthographe, mais les institutions ne lui en accordent pas non plus. C’est un fait, on peut avoir une note de 34/40 au Brevet (17/20) avec un zéro en dictée. Par démagogie, on préfère donner 4 lignes et demie de dictée simple, où l’on note au tableau deux mots de vocabulaire, car on sait bien que les élèves ne lisent pas.

On augmente la difficulté des questions de compréhension d’un texte, on donne un sujet de rédac qui inspire autant qu’une raclette au mois d’août, mais on rogne sur l’essentiel. L’un de mes collègues proche de la retraite me disait se faire taper sur les doigts au sens propre en cas de fautes d’orthographe. aujourd’hui, on taperait plutôt sur les doigts d’un professeur réputé trop sévère.

Pour le plaisir, voici une version toute personnelle de la dictée de mots passants :

Dents les vils âges, on ne lui donne est guerre : on le conne essai trot ; on était fatiguer de lui deux puits quart antan con le voyez pro mener de m'azur en m'azur son cor loqueteux et dix formes sur d’eux pâtes de boit. Ile ne vous lait poing sans n’allez ceux pendant, pasqu’il ne conne essai pas autre chose sur la tère que ce coing de paix y, ses troie ou quatre hameaux ou il avez trainer sa vie mise et râble. Il avez mit dés front tiers à ça ment dit cité.

Enfin, un dessin qui fait sourire et réfléchir...

… Signé l’Inadmissible

30 juin 2009

UN PIANO

Vous direz que je vais beaucoup au cinéma cette année, et que je vois de nombreux films d’animation. Je l’admets : j’aime bien, de temps à autre, faire semblant d’avoir l’âge de mes oursons.

D’avoir surveillé les épreuves du Brevet aujourd’hui, je pense à un sujet de rédaction sur un Manga, présentant deux jeunes héros devenus amis au hasard d’un piano. Deux musiciens, l’un appliqué et travailleur acharné, fils de pianistes, l’autre talentueux, génial peut-être, d’un milieu défavorisé, qui compense l’injustice du quotidien par des nuits en forêt, où il joue, debout et pieds nus, du piano. L’élégance d’un singe savant lors d’un concours de musique face au génie improvisé du campagnard, et 90 minutes pour soulever la quiestion du talent, acquis ou inné.

Sujet tout bête pour élèves pas bêtes :

Quel est le personnage principal de ce film d’animation ?

  • Le génie, bien sûr ! le pauvre garçon au talent méconnu ! L’Inadmissible que vous êtes ne peut qu’aimer un film faisant subtilement l’éloge d’un candidat " hors-concours " dans tous les sens du terme.
  • Mais non, c’est le bon élève, puisque tout commence avec lui, quand il arrive dans une nouvelle ville pour s’y installer avec sa mère.

Et pendant le trajet en voiture, il passe devant une forêt, et croit entendre un piano jouer.

C’est tout trouvé. Le personnage principal, c’est bien lui. Le piano. Pourquoi ?

  • Parce qu’il est sur l’affiche !

  • C’est un peu léger.

Le piano ne joue que sous les doigts de celui qu’il a choisi. Pendant qu’un enfant de quatre ans prenait ses premières leçons de solfège, sous le regard aimant et attentif de ses parents, un autre faisait ses premiers pas dans la forêt, et découvrait, amusé, les touches blanches et noires qui ne sonnaient qu’à son contact.

Est-ce l’instrument qui choisit l’artiste, de l’aimer si fort, et pour rien ? ou est-ce que l’art s’apprend, gammes et arpèges fastidieux et nécessaires à la mémorisation d’un morceau de Chopin ?

L’un a des capacités et le privilège de la naissance, mais déteste son piano, engin de rigueur et d’application. L’autre possède un sixième sens musical, la passion seule résonne au cœur de la forêt.

Milos Forman a dit d’Amadeus que son personnage principal n’était

ni Mozart,

ni Salieri,   

mais la musique elle-même.

CECI N’EST PAS UNE BANDE ORIGINALE

Dans Amadeus, ce sont les images qui accompagnent la musique, et non l’inverse.

Le piano enchanté, dans une forêt où l’on se perd pour se trouver, lie les différents personnages par sa seule volonté, de résonner ou non, entre les mains d’un virtuose qui s’ignore ou de quelques tartuffes rentrés bredouille, de s’être cassé les dents dessus, comme les pleutres chevaliers face à Excalibur.

Dans un pédagogie poétique, Piano Forest pose tout simplement la question de l’amour de l’art.

… Signé l’Inadmissible

30 juin 2009

ONE MORE CUP OF TEA FOR THE ROAD

Dernier jour avec mes classes. Bien sûr que les phrases cliché se bousculent sous la plume, l’encre devrait être fatiguée d’avance et pourtant, elle aime à écrire, simplement, que j’aime mes élèves et que je ne les reverrai plus. Dernier jour, premier jour, une année étrange et belle, d’une douceur amère. Douce tant j’aimais les petits, amère tant j’en veux à quelques faux adultes.

Mais l’heure n’est pas aux regrets, puisque je suis venue, et repartirai la joie au cœur, mes espiègles au fond du crâne, les paysages neufs comme toile de l’esprit.

Ce dernier jour avait le goût et le parfum de l’American breakfast, un de mes thés favoris que je décidai de faire goûter à mes jeunes anglicistes. Le thé a eu un vif succès auprès des petits. Renard et l’Atttachiant ont repris 5 tasses, avec beaucoup de lait et trois sucres.

Les shortbread ont eu du succès auprès des plus grands, et ils me dirent au revoir dans leur réserve et leur politesse. Les petits ont décidé de le faire au tableau, avec ferveur et fôtes d’ortaugraffe.

Le thé, c’était moi, le lait et le sucre, c’était eux.

On partage le gâteau fait maison d’une élève (« C’est vrai que vous partez ? ») on chante un peu (« on chantera aussi l’année prochaine ? ») on rit beaucoup (« Vous allez où, alors ? ») on marque la date au tableau (« Dieu seul le sait ») et des mots d’adieu sur une feuille de cahier de textes arrachée à la hâte. Un fou rire des pipelettes et déjà il faut partir, effacer les mots au tableau comme si lui aussi me souhaitait bon vent.

Plusieurs GOOD BYE MISS et BONNE VACANCE de toutes les couleurs.

Un GOOD BYE BYE MISS, mais aussi…

BONNE ROUTE ET BONNE VACANCE

I LOVE GOD : déformation, sans doute, de “I love good”, mauvaise traduction de “je vous aime bien”, transformée pour l’occasion en « J’aime Dieu. »

L’énigmatique TRO STYLER JVOUS AUREZ PLU (L’Attachiant) : je crois que sous sa plume à lui ça veut dire que je vais lui manquer…

I LOVE YOU SO MISS (qui vient d’une comptine apprise en classe)

et enfin mon préféré: BONE RETRAITE

… Signé l’Inadmissible

26 juin 2009

LE TRAIN D'ELSA

22H50. Gare de Strasbourg. Je passe ma vie dans le train, hormis quand il est en retard, auquel cas je passe ma vie dans la salle d'attente du quai, pleine de gens et de bagages fatigués. Tous somnolent, sauf une. Une petite de cinq ans, en pleine forme, au point que son papa s'assoupissait dans ses bras.

« le train TER 200 à destination de --- partira avec un retard de...

les oreilles s'aiguisent

... 30 minutes »

Protestations somnolentes.

·         Le train est en retard, comprit Elsa à voix haute. Alors, les gens sont en retard, les valises sont en retard. Même les murs sont en retard.

Je tourne un regard surpris vers la fillette. Je colle mon oreille au mur. Elle avait raison: du mur provenait un tic tac entêtant. Je le lui dis.

·         Bref, tout est en retard, résuma Elsa.

·         Oui, confirmai-je. Même les lapins.

Ce fut au tour d'Elsa de me regarder avec surprise.

·         Oui. Sais-tu Elsa, qu'il existe un Lapin Blanc qui porte une redingote écossaise, des petites lunettes, et une montre à gousset en or ?

Il faut dire qu'il était 23 heures, que je m'étais levée à six ce matin-là, et que je venais de lire le second volume d'Alice au pays des merveilles. Elsa ne connaissait pas le Lapin Blanc. Je le lui ai présenté, en rassemblant ce dont je me souvenais du premier volume de Lewis Carroll, de certaines scènes chez Disney, et y ajoutais quelques trouvailles de mon propre cru.

-         Eh bien voilà, le lapin blanc est en retard pour la réception de la reine de Coeurs. Alors il court. Sans arrêt.

Dans le conte de Lewis Carroll, on sait ce qui arrive à Alice, mais on ne sait rien des aventures du Lapin Blanc poursuivi.

… le lapin court si longtemps qu’il arrive à la mer. Puisqu’il ne sait pas nager, il doit faire demi-tour.

-         Et après ?

-         Eh bien, il arrive à l’école. Et le proviseur lui dit : « Vous êtes en retard. » Le Lapin dit « oui, je sais. D’ailleurs, je dois vous laisser… » « Comment, me laisser ?! c’est pour votre contrôle de maths que vous êtes en retard.

Le pauvre Lapin Blanc se mit à l’ouvrage.

-         Et après ?

-         Je ne sais pas. Tu sais, toi, ce qui se passe après ?

-         Il rentre chez lui ?

-         Il rentre chez lui, bien sûr ! il rentre chez lui, mais découvre qu’un monstre est à l’intérieur…

Mine inquiète d’Elsa.

- Mais ne t’en fais pas, il s’en sort très bien…

Le monstre, donc, était si gros que se bras sortaient par les fenêtres, et les pieds par les portes

Une seule solution : lui faire manger des biscuits rapetisseurs.

Des biscuits quoi ?

Rapetisseurs. Qui font rapetisser.

Ah.

Il y a inscrit « Mangez-moi » dessus.

et le monstre rapetissa …

Il s’agissait en fait d’Alice, qui avait un peu abusé de biscuits agrandisseurs la scène d’avant.

Le Lapin Blanc mit Alice dans sa poche, pour la garder en souvenir.

-         Et après ? demanda Elsa, insatiable.

-         Je te le demande.

-         Il arrive dans le jardin.

-         Bien sûr ! il sort de la maison et arrive dans le jardin. Et dans ce jardin, je te le donne en mille… poussent des carottes. Et notre lapin avait très faim, alors…

-         Il a tout mangé !

-         Tout juste.

-         Et quand on mange beaucoup de carottes, qu’est-ce qui arrive ?

-         On grandit ?

-         On devient aimable ? demanda une adulte assise en face.

-         Pas dans cette histoire-là. Non, dans cette histoire-là, si on force un peu trop sur les carottes, eh bien…

Voilà ce qui arrive.

-         Et après ?

-         Le lapin court chez le médecin, pour obtenir un remède et redevenir blanc. Le médecin lui prescrit 25 litres de lait.

Après avoir bu tout ce lait, le lapin a une envie pressante. Les toilettes les plus proches se trouvaient…

« le train TER 200 à destination de --- arrivera avec un retard d’environ…

lueur d’espoir

… 30 minutes. »

Tant pis.

Les toilettes les plus proches, disais-je, se trouvaient… à la gare.

Le lapin décida ensuite de prendre le train, comme ça il aurait une bonne raison d’arriver en retard à la réception de la reine. « J’accuserai le train ! » pensa-t-il.

Et le train arriva, mais au lieu de s’arrêter, il accéléra pour se retrouver dans les airs.

-         Et après ?

-         Eh bien… je ne sais pas. Le lapin, déçu, décida d’aller faire une ballade en montagne, pour passer le temps. Et il grimpa longtemps. Quand soudain, il aperçut…

-         Le train !

-         Le train, naturellement ! le train, coincé au sommet de la montagne.

-         Mais les gens dedans… s’inquiéta Elsa.

-         Pas d’inquiétude, ils étaient bien installés. Le lapin n’avait pas le choix : il devait prendre le train. Alors il monta, tant bien que mal, dans le premier wagon, et fit basculer le train, qui dévala la montagne à grande vitesse, et atterrit…

« Le train TER 200 à destination de --- va entrer en gare voie 7. »

-         Ah bah tiens, le voilà !

Je me levai, et Elsa regrettait un peu de me voir partir, et aussi, semblait-il, quelques adultes de la salle d’attente.

-         Tu crois qu’on va rencontrer le Lapin dans le train ? demanda Elsa à son père.

Il est possible qu’elle le cherche encore.

… Signé l’Inadmissible.

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22 juin 2009

LE PROMENEUR

       J’aime vous présenter, chers amis, des personnages hauts en couleurs que je rencontre lors de mes voyages. J’en ai connu un haut en lectures. Je lisais alors, sur la place Kléber à Strasbourg, une splendide nouvelle de Théophile Gautier, « La morte amoureuse », où un curé tombe amoureux d’une courtisane fantôme, un vrai petit chef d’œuvre de 40 pages, qui ne m’a coûté que 2 euros, n’est-ce pas formidable ?                

Vous le savez, je suis dérangée. D’abord, je ne range jamais rien. Ensuite, je ne suis pas prête de me ranger. Enfin, j’adore être dérangée par des étrangers.   

Sauf pendant une lecture. Surtout quand il s’agit d’une nouvelle, qui se doit d’être lue en une fois. Surtout quand le style transporte, quand le vent léger invite au silence, et que la moindre interruption brise le rêve comme une corne de brume.   

La corne de brume était un trentenaire souriant qui cachait ses yeux sous des lunettes noires, qui ressemblait un peu à ça :

    

A peine le nom de Théophile Gautier qu’il citait déjà Baudelaire (vous lisez Baudelaire ?) qui lui rappelait une image dans un film de Takeshi Kitano que je ne connaissais pas, et allez savoir pourquoi il parlait de Bourdieu aussi, et de Proust, car Monsieur s’est enfermé chez lui plusieurs mois pour se taper La Recherche.   

Dieu sait que j’aime parler bouquins. Dieu sait que je déteste parler de ceux que je n’ai pas lus. Et lui citait, des titres, des auteurs, deux ou trois films, quand au bout d’un quart d’heure je lui fis remarquer qu’il conversait seul.   

Sous couvert de partage, il étalait ce qu’il aimait sans vérifier si je suivais son raisonnement. Je lui demandais, diplomate, s’il pouvait me citer un autre film de Takeshi Kitano, pour que je me sache de qui il s’agit, mais emporté par le flot de son propre discours il parlait déjà d’un essai socio-politique sorti récemment.   

Le fat m’avait interrompue pendant ma lecture, il avait brisé la magie d’un écrivain pour m’en épuiser de mille autres que je souhaitais bannir d’en avoir entendu parler par lui. J’eus une réflexion polie sur la météo qui donnait envie de lire au bord de la Petite France. J’esquissai même le mouvement du lever pour partir. Mais je restai en place, et me lançai un défi : j’allais établir une conversation avec ce monologue ambulant.   

Je me rends compte cette année que c’est avec les adultes qu’il faut se montrer le plus pédagogue.   

-    Depuis une demi-heure, Monsieur, nous ne conversons pas.

Je me mis à l’imiter dans une moquerie sucrée :

… « Conversation » vient de CUM en latin, qui signifie « avec. » le fait est, Monsieur, que vous ne parlez pas avec moi. Vous parlez devant moi.

-    Je ne parle pas devant vous.

-     Si. Je vous demande depuis un temps de me citer un autre film de Takeshi Kitano, pour que je me souvienne de qui il s’agit. Vous refusez de répondre.

-     Je veux partager un film que j’ai vu. J’aime tirer les gens vers le haut.

Sourire intérieur. C’est justement ce que je déclare souvent au sujet de mes oursons.

-      Oui, mais pour tirer quelqu’un vers le haut, encore faut-il venir le chercher.   J’accompagnai ma remarque d’un geste, et de fil en aiguille, nous parlâmes d’école, d’enseignement, de la culture en France, bref nous échangeâmes, même si l’échange n’a démarré qu’au bout de trois quarts d’heure.   

Je revenais malgré moi à des choses terre à terre, et il me le fit remarquer.

-    Pourquoi toujours demander aux gens ce qu’ils font dans la vie ?

-    J’ai parié avec moi-même que nous réussirions à avoir une conversation proche de celle des gens normaux.

-    Eh bien, je suis promeneur.

-     Promeneur ?

-      Oui. Je me promène. De livres en livres, de ville en ville.

-       Et ça rapporte bien, promeneur ?

-       Ah, vous voyez ! voilà à quoi les gens s’intéressent, de nos jours ! combien vous gagnez ? quel âge vous avez ?

Un peu honteuse, je me souvenais des mots de Saint-Ex au début du Petit Prince, et me rendit compte que le Promeneur avait raison.

Un promeneur, donc, et je me définis à mon tour: une abeille. Après tout, ma mère a toujours voulu m'appeler Déborah, et c'est le sens de ce prénom en hébreu, « abeille. » L'Abeille, puisque, comme le Promeneur cité ci-dessus, je butine, moi aussi, d'ouvrage en ouvrage. Le dialogue qui ressemblait jusque-là à du Beckett, s'envola soudain dans un absurde différent, celui de Lewis Carroll, où les lièvres prennent le thé.

A chaque phrase que je prononçais ou presque, le promeneur me questionnais. Je lui parlais d'une femme sublime et c'était...

- Qu'entendez-vous par sublime ?

- Je veux dire qu'elle semble éclairer d'elle-même et donner le jour plutôt que le recevoir.

Je vous arrête tout de suite. Cette phrase n'est pas de moi, je venais de la lire chez Théophile Gautier. Je rouvrais « La morte amoureuse » pour étayer mon propos. Le Promeneur était convaincu, et passa illico à un autre sujet.

Je parlais au promeneur et ses interruptions - car il ne pouvait s'empêcher, comme moi, d'ailleurs, de dire tout ce qui lui passait par la tête – nous permettaient de digresser à l'infini, du sublime au beau, du beau au laid, du laid au lait de soja. La con-versation était enfin devenue conversation. Et pas des moindres. Mais je dus revenir, après un temps, à de basses considérations. Après avoir tant parlé, j'avais une envie pressante. Le Promeneur, ressentant sans doute une envie pressante de promenade, partit comme il était venu, d'un coup, et il bondit très vite vers un autre lieu, à la manière dont il bondissait d'une idée à une autre.

... Signé l'Inadmissible.

16 juin 2009

LES ESPIEGLES

Dans les cours d’école, parmi les discrets et les tristes, les extravertis et les bagarreurs, on trouve quelques espiègles. Ce sont, en résumé, de bons petits diables. Il en est un auquel je pense, aux cheveux roux et aux yeux bruns, comme on le dit dans sa région. Il a l’air perpétuellement malicieux. Ce doit être le sourire, ou le regard, ou cette habitude de jouer les farceurs, auprès de ces camarades sans complaisance, auprès de ses professeurs dans une vive politesse, et là-dessous l’insolence naissante qui n’est pas encore de l’esprit.

Il a les cheveux en épis orangés, il pourrait être personnage, car souvent les espiègles, dans la littérature enfantine, ont des tâches de rousseur.

Certains jours où le métier lasse, quand le matin gris ne fait que refléter l’humeur au-dedans, l’espiègle jaillit de derrière un arbre, au creux de la vallée qui l’a vu pousser, et l’ennui s'enfuit d’un coup, l'enseignement reprend ses lettres de noblesse.

Les espiègles en classe, c’est une autre histoire. Les yeux brillent toujours mais, allez savoir pourquoi, ils jouent à ceux qui auraient mérité le bonnet d’âne à l’époque de Pagnol.

Ils sont vifs et volontaires, ils aiment donner une réponse, surtout quand elle est farfelue. Les espiègles font souvent les cancres les plus attachants, et les meilleurs camarades, prêts à se dénoncer, parfois, pour sauver la mise d’un copain.

Pattes de mouches dans un cahier, ailes de papillon à la fenêtre, l’espiègle préfère dessiner, mais jamais sur papier. Il dessine des moustaches au prof autoritaire, et une auréole au front de l’institutrice dont il tombe amoureux. L’espiègle, enfin, est un artiste né pour la renommée, sinon comment expliquer qu’on se rappelle toujours son nom ?

… Signé l’Inadmissible

15 juin 2009

CORALINE OU LE DEMANTELEMENT DE L’ENFANT-ROI

Un film d’animation est sorti, qui ne s’adresse pas aux enfants. Il s’adresse davantage aux parents aimants et, semble-t-il, aux nouveaux pédagogues.

Le nouveau film d’Henry Selick, complice de Burton pour L’Etrange Noël de Monsieur Jack, mêle technologie et artisanat avec un naturel étonnant. L’histoire de cette petite fille rappelle Alice au pays des merveilles, version cauchemardesque, à commencer par le chat parlant:

      

  Coraline, en visitant sa maison vieille de 150 ans, découvre une porte mystérieuse qui mène, comme dans Alice à travers le miroir, à une vie parallèle. Elle visite ainsi la version alternative de sa vie, avec une maman qui fait bien la bouffe et un papa qui écrit des chansons en son honneur. Le jardin lui-même est à son effigie.

Sa vie en mieux, avec une différence pas si importante : les gens de ce monde ont des boutons à la place des yeux.

Des boutons, comme les poupées de chiffon traditionnels, car après tout, les jouets ne voient que si on leur prête notre regard.

Les couleurs, l’atmosphère, le tout rappelle l’épisode fête foraine de Pinocchio chez Disney, en plus effrayant.

Coraline est comblée, bien sûr, par mille attentions et mille merveilles conçues pour elle seule. La musique de Bruno Coulais (Cocorico !) suggère pendant tout le long métrage que quelque chose se tapit sous cette apparente perfection, et que ce bonheur-artifice se paye cher.

Certains critiques ont dit que le film visait les enfants, prêts à perdre la vue au nom d’un bien-être matériel et nourricier. Mais je crois plutôt que les adultes doivent se sentir visés. Au nom de l’enfance reine, de la réponse systématique aux besoins des enfants sans même leur laisser l’occasion du désir, on leur coud, en pensant bien faire, des boutons à la place des yeux.

Le film semble aussi parler aux pédagogues, qui préconisent un enseignement composé uniquement de jeux, et confinent en réalité les enfants au monde de l’enfance.

On sait ce qui arrive au brave Pinocchio d’avoir un peu trop aimé la fête.

Faut-il que les parents gâtent les enfants au point de les rendre aveugles au monde qui les entoure ?

Faut-il que les professeurs ne jurent que par le ludique, au risque de faire pousser de longues oreilles à leurs élèves ?

Ce film pour enfants devenus grands soulève bien des questions.

Faites-vous une idée. Allez voir Coraline.

... Signé l'Inadmissible

12 juin 2009

DOUBLE TEA, DOUBLE YOU

Teach, Travel and Write : voilà la philosophie de ce blog, amis à l’âme voyageuse et fantasque qui liront ces pages, peuplées de paysages et de rencontres !

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